Résumés des communications Atelier: Récits d'expérience

Vendredi 22 novembre 2024 

9:00-10:45: Atelier 3: Récits d'expérience

Suzanne Champoux Williams  (Université de Sherbrooke): "Une écriture de l’expérience : la limite des mots dans le récit d’exploration Contemporain"

 

Cette communication portera sur le défi de documentation dans un contexte de mise en récit d’expéditions extrêmes. Comme la géopoétique, le récit d’expédition est une pratique littéraire de la rétrospective où l’expérience se situe au cœur de l’écriture ou, dans les paroles de Kenneth White, « une expérience physique qui atteint les espaces de l’esprit »1. Les mots traduisent un vécu – l’impression d’un lieu ou de la traversée d’un territoire – mais sont nécessairement teintés par une
distance temporelle et spatiale les séparant de l’événement qui a initié leur écriture. Peut-on garder des traces de l’instant sans se couper du moment présent? Aussi, comment donner une voix au territoire sans s’y inscrire? Mon objectif est d’explorer ces impossibilités et d’examiner les façons dont certain·es auteur·es les abordent afin de réconcilier la présence du soi et sa subjectivité dans l’écriture de la nature.

 

Mon doctorat en recherche-création est centré sur l’écriture de voyage en tant que pratique de la non- fiction et, plus précisément, sur le récit d’exploration. Mon projet a pour but d’étudier – et d’expérimenter – la mise en récit d’expériences limites en explorant les motivations qui poussent les expéditeur·ices à entreprendre des aventures extrêmes (le « avant »), la façon dont les personnes documentent ou partagent le quotidien de leur expédition (le « pendant ») et les apprentissages qui émergent en rétrospective sous forme d’anecdotes et de leçons (le « après »). Mon corpus est composé d’ouvrages axés sur le dépassement des limites individuelles et collectives à travers des exploits sportifs, et qui traduisent de façon littéraire ou cinématographique une traversée du territoire (ou une ascension) à force humaine.

Grâce à une méthodologie interdisciplinaire (théories littéraires, géopoétique et écriture thérapeutique), j’y observe l’approche des athlètes envers l’environnement où ils affrontent leurs limites – sur le spectre entre humilité et hubris – et sur la relation personne-nature qu’elle traduit (une relation d’égal à égal, de conquérant, de victime, de scientifique, d’observateur, etc.).

Rosaline Deslauriers (Université Laval, conteuse, musicienne, metteuse en scène) et Camille Deslauriers (Université du Québec à Rimouski): "Le Fjord du Saint-Laurent au prisme de la scène : de l’Expédition Bleue à Passion déchets"

Pendant cette communication, nous nous interrogerons sur les processus créateurs et les échanges de savoirs qui ont permis l’avènement d’un spectacle interdisciplinaire conçu par 1 metteuse en scène musicienne, 4 autrices, 3 scientifiques et 1 contrebassiste, en août 2024, lors d’une résidence au Château Landry (Québec, Canada). Notre étude sera à la fois réflexive et empirique dans la mesure où elle portera d’abord sur le cadre géopoétique qui a présidé à l’écriture des textes choisis pour créer Passion déchets, puis sur la vision de l’acte théâtral (théôria) d’une artiste dont les recherches et la praxis s’inscrivent tour à tour dans le prolongement de l’anthropologie théâtrale d’Eugenio Barba et de la poïétique de René Passeron. Quelle démarche anthropo(ï)étique – et qui pourrait s’inscrire dans le sillage des travaux de Kenneth White – a permis à un groupe d’écrivaines québécoises d’œuvrer aux côtés de scientifiques chevronnées qui étudient la pollution plastique, tantôt dans le fjord du Saguenay, tantôt dans le Saint-Laurent, lors de deux missions de recherche-création? Comment l’écriture de carnets et de cartes postales poétiques, conçues pendant ces Expéditions Bleues, a-t-elle favorisé l’émergence d’un spectacle interdisciplinaire au sein duquel textes, instruments de musique, voix, déchets, outils utilisés pendant les nettoyages de berges, écran sur lequel était projeté un court-métrage expérimental réalisé par la cheffe de mission, artiste visuelle et biologiste marine Anne-Marie Asselin (Nos reflets à la mer) peuvent-ils partager une même scène?  Quelles étapes ont jalonné la conception de ce spectacle et quels rouages ont permis aux scientifiques et aux artistes d’abolir les frontières entre leurs domaines respectifs, afin que toustes se prennent au « jeu », jusqu’à plongerdans une expérience scénique que l’on pourrait qualifier d’écriture de plateau? Voilà autant de questions qui constituent les principaux enjeux de cette communication pendant laquelle nous examinerons l’apport scientifique ou artistiquedes différent.e.s participant.e.s qui ont, pour les unes, vécu la création in situ et, pour les autres, uniquement œuvré à partir des traces rapportées (écrits, artefacts, écofacts, statistiques, rebuts).

Du Fjord à la scène, en passant par des mots, des idées musicales et des statistiques récoltées sur le terrain, nous examinerons ici la porosité des frontières entre sciences, création littéraire et arts afin d’examiner les matériaux qui ont structuré ce spectacle engagé et la philosophie de la création qui le sous-tend. 

Sylvie Lamandé (Université Toulouse Jean Jaurès / ED ALLPH@ / UR Lara-Seppia): "Au-delà des frontières entre les arts. Pour une approche po(ï)étique et plastique du monde. Le textile comme vecteur d’une expérience sensible et tangible. Enquête au jardin"

Vivre une « expérience de la terre et du vivant » au travers d’une « démarche anthropo(ï)étique » nous amène à faire appel au concept de géopoétique mis en exergue par Kenneth White comme étant une composante fondamentale de son processus de création. Il nous en propose une définition lors d’une conférence « Sur la géopoétique des fleuves » (Lyon, octobre 2011) : « La géopoétique est une théorie pratique transdisciplinaire applicable à tous les domaines de la vie et de la recherche, qui a pour but de rétablir et d’enrichir le rapport homme-terre depuis longtemps rompu — avec les conséquences que l’on sait sur les plans écologique, psychologique, intellectuel et social, développant ainsi de nouvelles perspectives existentielles dans un monde ouvert».

Cette définition a la spécificité d’être suffisamment ouverte pour nous permettre de nous y glisser afin de clarifier en quoi une démarche de recherche-création ouvre la voie à la possibilité d’envisager notre rapport au monde au prisme d’un dialogue et de la quête d’interférences entre les arts. Car si la géopoétique trouve son substrat au fil des mots poétiquement liés, il n’en demeure pas moins que la démarche d’enquête qui consiste à questionner notre rapport au monde trouve matière à s’exprimer tout autant au travers des arts plastiques.

Reprendre contact avec la terre via un processus de création artistique privilégiant la marche à l’instar de Richard Long et Hamish Fulton entre tout à fait dans le prolongement du questionnement initial et permet d’en diversifier les réponses possibles, de moduler les approches et de mettre en œuvre la nécessaire polysensorialité, indispensable à une approche plurielle de notre manière d’habiter le monde.

Dans le prolongement de ce début de réflexion, je propose de m’appuyer sur le travail de recherche-création en arts plastiques que je mène actuellement pour faire émerger en quoi il est tout autant opportun de questionner notre manière d’être au monde par le biais d’un travail plastique mettant en avant la nécessité d’une rematérialisation de la création. La spécificité de mon processus consiste à utiliser un matériau modeste (fibre végétale, fil) et un outil rudimentaire (un crochet) destiné à accompagner le geste du créateur en vue de la formation d’entrelacs afin de créer un maillage dont le rendu figure une présentation du monde et suggère les interrelations existantes entre l’humanité et le contexte au sein duquel et par lequel elle se meut. A partir de la présentation de mon travail, je serai amenée à envisager comment, grâce à la création d’un jardin textile, je tente d’être en mesure d’aborder et questionner les grands enjeux de notre présence physique et mentale au monde, de mettre en avant la nécessité de voir poétiquement ce qui nous entoure et d’en proposer une image tangible remettant en question nos pratiques d’existence, envisageant un autre mode d’être en prise symbiotique avec l’environnement et cela au travers d’une démarche permettant de faire l’expérience du monde conjointement par le corps et la pensée.

Le jardin, figuré par le fil, ses entrelacs et ses maillages, rend possible la quête exploratoire d’une manière d’être dans le contexte d’un microcosme, lieu synthétisant la globalité terrestre et au-delà, c’est pouvoir faire « l’expérience de la terre et du vivant ».

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